La sclérose en plaques,
c'est vous qui en parlez le mieux.
Le 8 juil. 2012

La sclérose en plaques, par François, de Québec.

« J'ai dû me résoudre
à rentrer au bercail à Québec
chez ma mère en 2001. »

« Bonjour,

Je crois que tout a commencé lorsque j'ai fait de l'oeil à ce Windows 3.1® que mon professeur d'informatique projetait sur une grande toile blanche installée en avant de la classe. Moi qui jusque-là n'avais pianoté que sur des claviers Mac (Apple®), les petits clins d'oeil que je lui jetais de mon siège et qui étaient loin de la connivence avec la bête me firent réaliser deux choses : de mon oeil gauche, Windows® c'était moche, du droit, c'était moche et flou, même avec des lunettes. Rendez-vous alors chez l'ophtalmologiste pour corriger cette vue. 

Une semaine plus tard, l'homme qui regarde au fond de mes yeux me dit :
- Je ne vois rien. Vous devriez prendre rendez-vous avec mon collègue d'une autre clinique dont je vais vous donner les coordonnées.
Un ophtalmologiste qui ne voit rien… C'était tout de même inquiétant ! 

Deux semaines plus tard, l'homme en blouse blanche qui regarde au fond de mes yeux me dit :
- Je ne vois rien. Prenez rendez-vous avec moi à l'hôpital. Nous approfondirons l'examen.

Quelques semaines s'étant écoulées, la même blouse blanche regarde encore au fond de mes yeux et me dit ensuite :
- Je ne vois rien et je crois que vous faites une névrite optique ou si vous préférez, une inflammation du nerf optique. Il se peut aussi que ce soit la sclérose en plaques.
- La quoi ?, que je demande.
- Je vous propose de vous hospitaliser trois jours pour des injections intraveineuses de cortisone qui feront disparaître l'inflammation. Vous prendrez aussi rendez-vous pour un examen de résonance magnétique. 

De retour à la maison, je consulte Robert® pour savoir ce qu'est cette sclérose : « maladie chronique lente du système nerveux central entraînant une paralysie progressive, au cours de laquelle la myéline est détruite et remplacée par du tissu cicatriciel… » Je m'inquiète, mais je n'ai pas le temps. Nous sommes au mois de mars et le rendez-vous pour la résonance magnétique est en juin. Entre-temps, qui dit mars, dit dernier droit de la session universitaire. Les travaux s'accumulent, je milite au sein d'une association pour le développement du transport en commun à Québec, je cherche un boulot pour l'été, mais surtout, je prépare un projet important : depuis quelques mois, j'ai commencé des démarches en vue d'aller étudier une année à Prague, une ville dont je suis tombé amoureux deux années plus tôt. Il y a beaucoup à faire : compléter l'inscription à l'Université Charles, faire un budget en m'assurant de la contribution de papa et maman, convaincre le ministère de l'Éducation du Québec de m'accorder des prêts et bourses et au mois de juin qui approche à grands pas, aller au consulat de la République tchèque à Montréal et y remplir les formulaires pour que je puisse obtenir le visa d'étude. Bref, de la paperasse et plusieurs échanges postaux pour préparer mon départ. 

Toutefois, je me plie au souhait du médecin de m'incarcérer à l'hôpital et petite valise sous le bras, je quitte le foyer pour aller offrir mon bras aux infirmières qui me feront des injections intensives de cortisone pour soigner cet oeil droit, qui après deux nuits trois jours, retrouva une bonne acuité visuelle. Voilà une bonne nouvelle. 

Arrive juin et son été prochain. En pleine forme, je ne vois pas l'utilité de cette résonance magnétique et hop, j'annule le rendez-vous. Je vais très bien et les parfums de l'été accompagnent mes multiples démarches en vue de mon départ à la fin du mois d'août. J'ai même acheté mon billet d'avion : Montréal - Paris, pour y voir quelques connaissances, ensuite je prendrai l'autocar jusqu'à Prague.

Puis un matin de la mi-août où je m'éveille, la joue engourdie, comme si le dentiste était passé par là durant la nuit pour m'anesthésier la mâchoire. Direction la clinique médicale. Mon médecin de famille regarde mon dossier, hoche la tête, tourne les pages et brise le silence :
- Tu vas aller à l'hôpital. Je n'aime pas ce que je vois dans ton dossier. On t'a déjà parlé d'un risque de sclérose en plaques ?

Samedi midi (ça arrive toujours les week-ends ces trucs-là…), je me présente à l'urgence de l'hôpital et après les questions d'usage (non sans avoir attendu une bonne heure dans la salle d'attente), le médecin m'annonce :
- On vous garde.
Et tout heureux de me garder à souper et coucher, on m'offre même la cortisone pour trois jours.

Me voilà donc encore prisonnier des mêmes murs qu'il y a quelques mois. Une chambre identique, un petit lit et rapidement des tubulures qui entrent le froid dans mes veines. Et un médecin qui m'annonce :
- Un résidant viendra demain vous faire une ponction lombaire pour extraire du liquide. Après analyse, nous saurons si c'est bien la sclérose en plaques.

Le lendemain, voilà une jeune et jolie demoiselle, stéthoscope au cou, pas tellement plus âgée que moi, qui s'approche de mon lit avec une grande aiguille qu'elle compte rentrer dans ma colonne. Jusque-là, j'avais connu des demoiselles mieux attentionnées à mon endroit… Après quelques tentatives, elle ne parvient pas à m'extraire le liquide espéré. 

Arrive un peu plus tard dans la journée un nouveau médecin, un neurologue celui-là, qui me fait passer quelques tests :
• ramasser un 25 sous par terre ;
• toucher mon nez de ma main droite, puis de ma main gauche ; 
• marcher sur une ligne imaginaire ;
• tirer et pousser son bras ;
• etc…
Le grand garçon que je suis passe haut la main ces tests que d'habitude les policiers font passer aux gars saouls du volant… 

À la fin, il m'annonce : 
- Puisque nous n'avons pas réussi la ponction lombaire, je vous ai obtenu un rendez-vous après-demain dans un autre hôpital pour que vous passiez une résonance magnétique. Nous saurons rapidement si il s'agit de la sclérose en plaques.

Attendre. Encore attendre.

Vint la journée de cette double résonance ; la première, celle où on me glissa dans cet espèce de cylindre pour regarder dans ma tête et mon corps, la deuxième, lorsque le médecin m'annonça sans détour, et je l'entends encore :
- C'est la sclérose en plaques.
Août 1995, j'ai 22 ans.
J'accuse le choc. Et pendant que mes parents pleurent, je rage et je tournoie dans ma tête mille et une choses, dont la plus importante qui conduira à une décision : la ville aux mille clochers, la Prague que je voulais revoir, la femme que j'avais connue et que je voulais reconquérir, je ne verrai pas. Et je ne verrai plus.

Je vous épargne le détail de ces années qui suivront où je compléterai mes études de géographie à l'Université Laval, puis quitterai la ville de Québec pour entreprendre une maîtrise en urbanisme à Montréal. J'entamerai, mais je ne compléterai pas car cette sclérose en plaques a changé de nom en l'an 2000 pour s'appeler Saloperie En Progression ; par sa faute, j'ai dû me résoudre à rentrer au bercail à Québec chez ma mère en 2001.

Depuis, la liste des deuils ne cesse de s'allonger avec un handicap grandissant que même les petites piqûres n'ont pu stopper. En contrepartie il y a tous ces baumes que sont une mère dévouée corps et âme, un père qui accourt lorsque j'ai besoin de lui, une soeur qui le fait tout autant, des amis fidèles, la famille et celle qui, par un clic anodin comme on en fait des centaines sur Internet, a pris place d'abord dans mon MSN, ensuite dans mon coeur lorsqu'elle a atterri à Québec depuis Lyon pour voir la bête en chair et en os. C'était en 2004. L'année suivante, son avion s'est posé de nouveau et est reparti sans elle. France et Lyon, je vous ai volé une fille et certainement la plus merveilleuse ! 

Pour terminer, je vous confierais que lorsque je regarde vers le passé avant que ne me tombe dessus cette maladie et le handicap, je pense aux paroles d'une chanson d'Aznavour :
…Hier encore 
…Hier encore
…J'avais vingt ans
…Je caressais de temps
…Et jouais de la vie
…Comme on joue de l'amour
…Et je vivais la nuit
…Sans compter sur mes jours 
…Qui fuyaient dans le temps
…[…]

Il n'y a point de nostalgie maladive quand je lis ces mots, sinon quelques regrets comme on en a tous un jour ou l'autre. Car il y a demain. 

…Demain encore."

Par François, 35 ans, diagnostic à l'âge de 22 ans, août 1995.
Ville de Québec, Québec.

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Rediffusion du 18/03/2008.

1 commentaire
20/12/2018 à 00:18 par Chloé
Wouaw. Je ne sais pas si tu liras c'est mots un jour, car j'arrive un peu tard, mais je trouve tes paroles énormément touchantes et poétiques. Merci pour tout le courage et l'optimisme que tu montres ici.
Et bonne chance à toi !
Chloé

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